Le jour où j’ai remis mon mémoire de maîtrise, je me suis levée tôt. J’ai bouclé mes cheveux et appliqué une généreuse couche de maquillage — prenant même le temps de faire du contouring et d’utiliser de la brume fixatrice. J’ai posé pour des photos avec une amie de l’école; nous rayonnions, tenant nos documents fraîchement imprimés et reliés de 100 pages. Parfois, je regarde ces photos pour examiner la scène : j’ai l’air à l’aise, appuyée contre le mur couvert de lierre de mon université, que j’avais choisie pour son prestige. J’affiche mon plus beau sourire et montre mes ongles parfaitement vernis, qui s’accordaient avec la couleur de ma robe.
Cet après-midi-là, j’ai remis mon mémoire, le déposant triomphalement dans un grand panier sur le bureau du doyen. J’ai bavardé avec un de mes professeurs, serré dans mes bras plusieurs de mes camarades de classe et suis rentrée à mon appartement. Puis, je me suis effondrée au sol, incapable même d’enlever mes chaussures, et suis restée là pendant sept heures. Je me suis appuyée contre le mur blanc de ma cuisine, ruminant mes sentiments de vide. Même quand mon chien aimant et attentionné me poussait du museau pour demander une promenade, j’avais du mal à bouger.
Bien que je ne puisse pas dire avec certitude quelle image je présentais au monde ce jour-là, je ne pense pas que quiconque aurait deviné que j’étais en pleine dépression profonde. J’avais l’air organisée, je tenais le coup avec mes responsabilités académiques, et j’avais apparemment ma vie « en ordre », mais en réalité, je tenais à peine debout. En fait, j’étais au plus bas de ma vie.
Comprendre la dépression hautement fonctionnelle
J’appartiens à une catégorie de personnes qui vivent avec une dépression « hautement fonctionnelle ». Bien que ce ne soit pas un diagnostic clinique, c’est devenu un terme largement compris pour décrire la réalité de nombreuses personnes : la dépression ne se manifeste pas de la même façon chez tout le monde — et il y a beaucoup de gens qui fonctionnent « normalement » tout en luttant en privé contre des symptômes dépressifs.
Essentiellement, ce terme fait référence à toute personne qui est aux prises avec des problèmes de santé mentale tout en accomplissant ses tâches quotidiennes et en assumant ses responsabilités.
1 Américain sur 5 vit avec une maladie mentale, et à mesure que ce nombre a augmenté, la conversation autour de la santé mentale a évolué. De plus en plus de gens discutent de leur parcours en santé mentale et partagent leurs symptômes et diagnostics, mais ce dialogue a encore beaucoup de chemin à faire pour être inclusif. Nous devons nous rappeler que la maladie mentale peut se manifester différemment chez chacun. La dépression n’est pas seulement la représentation unidimensionnelle que nous voyons dans les médias : quelqu’un qui vit dans l’isolement total, ne sort pas du lit et refuse de participer à la vie quotidienne.
Pendant mes deux années d’études supérieures, j’ai pu assister aux cours, suivre la plupart de mes devoirs et compléter un grand projet de thèse. Je payais mon loyer et j’appelais régulièrement ma famille. Je ressentais aussi une douleur constante qui irradiait dans ma poitrine et une tristesse envahissante qui obscurcissait ma capacité à imaginer un avenir pour moi-même. Je pensais fréquemment à l’automutilation et au suicide — accumulant des recherches Internet inquiétantes sur les méthodes de suicide et rédigeant un testament. Chaque fois que je n’étais pas liée par les attentes sociales, je me repliais sur moi-même. La rumination commençait lentement; je réfléchissais à ma solitude et à mes insuffisances perçues. Chaque membre me faisait mal. Chaque mouvement était atroce. Parfois je pleurais jusqu’à l’épuisement; d’autres fois je n’avais même pas l’énergie physique pour pleurer. Mais je trouvais des moyens de (finalement) sortir du lit et accomplir mes tâches de base.
Il est important de noter que ce n’est pas une expérience universelle de la dépression hautement fonctionnelle. Tout le monde dans cette catégorie n’est pas nécessairement très performant tout en cachant des bas extrêmes; peut-être accomplissent-ils tout juste leurs tâches ou font face à des symptômes dépressifs moins sévères. Ce terme familier laisse place à un large éventail d’expériences — toutes étant valides et méritant empathie et traitement.
Comment aider les autres avec une dépression hautement fonctionnelle
Établir que la maladie mentale se manifeste différemment chez chacun est la première étape pour faire évoluer la conversation sur la santé mentale. Mais que devons-nous faire de cette information? Je ne suis pas une professionnelle de la santé mentale ni qualifiée pour donner des conseils médicaux, mais je peux réfléchir aux choses qui auraient pu m’aider dans mon propre parcours.
- Prenez des nouvelles de vos amis, même ceux qui semblent aller bien. Ce conseil n’est guère nouveau — il est placardé sur les graphiques des médias sociaux et les affiches inspirantes. Mais il est crucial pour le bien-être des personnes atteintes de dépression hautement fonctionnelle. Il y a certainement eu des moments où j’avais l’air « bien » mais j’avais désespérément besoin de soutien supplémentaire. Un simple texto d’un ami aurait pu soulager un peu de la tension dans ma poitrine.
- Ne présumez pas connaître l’histoire de tout le monde. Bien que je pense avoir agi relativement « normalement » pendant les moments les plus difficiles de la dépression, je sais qu’il y a eu des jours où mon comportement et mon attitude semblaient étranges ou froids. Je me souviens de certains camarades de classe qui levaient les yeux au ciel et faisaient des commentaires occasionnels désobligeants. Il est naturel de porter des jugements, mais je vous encourage à défier cette tendance et à vous rappeler qu’il y a toujours une image plus complexe. Et étant donné les chiffres stupéfiants, il est plus que probable que quelqu’un dans votre vie lutte contre une maladie mentale.
- Ouvrez-vous. Si vous êtes à l’aise de partager une partie de votre propre histoire — vos défis, vos vulnérabilités, vos peurs — vous construisez activement une communauté avec les personnes qui luttent. En regardant en arrière, je me souviens avoir pensé que j’étais la seule personne qui pouvait vivre de tels schémas de pensée négatifs et de telles peurs. Si quelqu’un proche de moi s’était ouvert sur ses propres défis, j’aurais trouvé un certain réconfort à savoir que je n’étais pas seule.
Finalement, grâce à la thérapie et aux médicaments, j’ai trouvé un certain niveau de rétablissement. Ma dépression n’est plus ce qu’elle était; je ne vis plus de bas extrêmes ni d’idées suicidaires. J’ai développé des mécanismes d’adaptation et trouvé un système de soutien pour me guider à travers les moments difficiles.
Quand je pense à quel point mon bien-être émotionnel a changé, je ne peux m’empêcher de remarquer que mon apparence pour le monde extérieur est restée la même : tout a l’air « bien ». Mais les apparences ne sont pas toute l’histoire. La dépression peut ressembler à moi.
Auteur : Margot Harris
Margot Harris est gestionnaire de contenu dans l’équipe Marketing & Communications de NAMI. Elle détient une maîtrise en écriture non fictionnelle de l’Université Columbia et a précédemment travaillé comme journaliste de culture numérique chez Business Insider. Elle vit à Washington, D.C.
Cet article tiré du blogue de la National Alliance on Mental Illness (NAMI) et a été traduit par Jordan Bérubé de Pro Ressources.